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Quand
l'esprit regarde un tableau construit selon la perspective classique, le
regard se trouve happé par ce noeud convenu situé à
l'horizon. C'est là notre futur, assure-t'on, enfoui dans sa fourrure
de lignes droites. Et la fatalité établie des lois de la
lumière nous assure qu'en effet l'avenir git là, déterminé.
Mais
que l'esprit soudain las de se soumettre aux prophéties, s'en revienne
enfin sur soi même et marche jusqu'à ce point qu'on lui tendait
comme un appât, il voit bien que c'est là bas tout comme ici,
que les choses et l'espace n'ont point suivi cette loi de rétrécissement
que l'objet qu'il avait devant lui semblait promettre.
Aussi,
qu'il s'en détache, et sa vision se porte alentour, et il voit le
crochet d'où pend le ver. Et il voit aussi que son exacte position,
debout, là, en ce lieu partiellement masqué par l'écran
de la toile, avait été de longue date prédite par
le peintre. Et dans un mouvement qu'il ne peut désormais plus contrôler,
il perçoit aussi le peintre, le magicien chevauchant son pinceau,
qui glisse selon les lignes de champ de son Art, vers ce tableau, dont
lui - peut-être - s'évade.
Mais
parce que l'esprit, qui d'abord regardait, désormais se meut, il
voit aussi ce dont le peintre ne s'évade pas: l'Art de peindre.
Il le perçoit comme l'un des points de fuite de l'aventure humaine
tout comme ce point de l'horizon qui le captivait tout à l'heure,
et tout compte fait, pas moins fatal ni arbitraire.
Alors
il se souvient de cette chose à
Philadelphie, de cette chose qu'il n'a jamais vue et dont il ignore jusqu'au
nom, de cette oeuvre dont on dit que Duchamp voulut qu'elle ne fut déclose
qu'après sa mort. Et il se dit qu'à regarder par le trou
pratiqué dans la vieille porte, l'entonnoir des perspectives emboîtées
s'inverse, que son regard se porte désormais vers le réseau
inextricables des aventures, vers la réalité, un peu nue
de ses au-delà et de ses urgences.
Et bien
que dans son trouble il sente encore auprès de lui, la présence
de la prophétie de Marcel Duchamp, il sait aussi que l'artiste aura
mis son honneur, son soin et sa tendresse à
ne rien lui représenter. |
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