Marcel Duchamp... Marchand du Sel

Des Beaux Arts considérés comme une manière de pêche à la ligne

 
 
Quand l'esprit regarde un tableau construit selon la perspective classique, le regard se trouve happé par ce noeud convenu situé à l'horizon. C'est là notre futur, assure-t'on, enfoui dans sa fourrure de lignes droites. Et la fatalité établie des lois de la lumière nous assure qu'en effet l'avenir git là, déterminé.  

Mais que l'esprit soudain las de se soumettre aux prophéties, s'en revienne enfin sur soi même et marche jusqu'à ce point qu'on lui tendait comme un appât, il voit bien que c'est là bas tout comme ici, que les choses et l'espace n'ont point suivi cette loi de rétrécissement que l'objet qu'il avait devant lui semblait promettre.  

Aussi, qu'il s'en détache, et sa vision se porte alentour, et il voit le crochet d'où pend le ver. Et il voit aussi que son exacte position, debout, là, en ce lieu partiellement masqué par l'écran de la toile, avait été de longue date prédite par le peintre. Et dans un mouvement qu'il ne peut désormais plus contrôler, il perçoit aussi le peintre, le magicien chevauchant son pinceau, qui glisse selon les lignes de champ de son Art, vers ce tableau, dont lui - peut-être - s'évade.  

Mais parce que l'esprit, qui d'abord regardait, désormais se meut, il voit aussi ce dont le peintre ne s'évade pas: l'Art de peindre. Il le perçoit comme l'un des points de fuite de l'aventure humaine tout comme ce point de l'horizon qui le captivait tout à l'heure, et tout compte fait, pas moins fatal ni arbitraire.  

Alors il se souvient de cette chose à Philadelphie, de cette chose qu'il n'a jamais vue et dont il ignore jusqu'au nom, de cette oeuvre dont on dit que Duchamp voulut qu'elle ne fut déclose qu'après sa mort. Et il se dit qu'à regarder par le trou pratiqué dans la vieille porte, l'entonnoir des perspectives emboîtées s'inverse, que son regard se porte désormais vers le réseau inextricables des aventures, vers la réalité, un peu nue de ses au-delà et de ses urgences.  

Et bien que dans son trouble il sente encore auprès de lui, la présence de la prophétie de Marcel Duchamp, il sait aussi que l'artiste aura mis son honneur, son soin et sa tendresse à ne rien lui représenter.